Fanch, le boucanier
La première rencontre surnaturelle de François Macquer, dit « Fanch », eu lieu alors qu'il n'était encore qu'un jeune enfant. Comme à son habitude, il était sorti très tôt. Galopant, tel un jeune poulain par les chemins de lande, par delà les grèves, jusqu'au chaos rocheux, il arriva enfin au fond du « gouffre aux vents ». C'était son lieu de pêche favori. Il espérait bien rapporter quelques ormeaux et pourquoi pas, oh suprême convoitise ! un beau homard, resté prisonnier par la marée basse dans un trou d'eau. Tout entier occupé à sa besogne, Fanch sentit soudain un présence. Comme une douce chaleur venant le chatouiller en dedans. Vaguement surpris, il releva la tête, jetant alentour des coups d'oeil inquisiteurs. Il la vit alors, comme surgie de son humeur rêveuse. Elle était là, altière, toute de lumière drapée. Blanche telle l'écume mouvante sur le sable, elle se tenait immobile, souriante face à Fanch. Belle à l'instar de ces princesses, dans les histoires que racontait le curé à la fin du catéchisme quand l'assemblée s'était sagement tenue. Les derniers lambeaux de brume lui faisaient comme une traîne et le soleil levant accrochait un diadème de feu à ses blonds cheveux. La brise légère jouait dans sa robe comme une main aimante.
- Par Naam !... Une « Bonne Dame » ! Pensa Fanch peureusement.
Elle s'avança et, devant son merveilleux sourire, les craintes de l'enfant s'envolèrent.
- Tu es le fils de Jean Macquer. Dit-elle d'une voix douce comme le miel. Son premier né, n'est-ce pas ?
Fanch, timidement, opina du chef tout en se demandant comment elle pouvait savoir cela !
- Ecoute bien à présent... Je suis venue à toi pour te prévenir : le malheur a étendu ses ténèbres sur ta maison. Fais en sorte que ton père ne prenne pas la mer ce jour ! Préviens ceux du village, essaie de les convaincre, mais, si tu aimes ton père, garde le bien près de toi.
La « Bonne Dame », sur un geste léger de la main, fit alors demi-tour et, dérangeant à peine la brume, s'en alla. Fanch, la main encore levé, sortit peu à peu de son hébétude. Oubliant là son croc et le sac de jute où s'amassait déjà nombre d'ormeaux, il prit précipitamment le chemin de sa maison. Apprenant avec horreur de la bouche de sa mère que son père était sûrement au port et certainement prêt à prendre la mer, Fanch la laissant là vaguement inquiète, fila comme le vent vers le port, et déboucha dans la rue menant à la jetée.
- Oh non ! Gémit-il en voyant la « Belle Lucie », la barque de son père, s'éloigner du quai.
Dans un ultime effort, il s'élança en criant à plein poumons après son père. Celui-ci, tournant la tête, vit son petit homme de fils, dévaler la jetée glissante, comme un démon gesticulant. Sans avoir même pensé à ralentir l'allure, le pauvre Fanch réalisa d'un coup qu'il partait tête la première dans l'eau noire du port. Le « plat » magistral qu'il fit en atteignant l'eau l'empêcha de voir la « Belle Lucie » qui, demi-tour fait, revenait à toute vitesse vers la jetée.
- Mais qu'est-ce qui te prend, Fanch, tu veux te noyer ?! Hurla son père en l'attrapant par la peau du dos pour le hisser à bord. Fanch toussant, crachant, ruisselant d'eau de mer faisait peine à voir. Il entendit son père crier à ses collègues de continuer sans lui. Le pauvre Fanch voulu protester, expliquer, mais...
- Toi, je te ramène à la maison. Tu vas voir ce que ta mère va dire ! ! Le houspilla son père.
Plus tard, devant un bol de bouillon, un Fanch à peu près sec regardait pensivement ses vêtements fumer doucement, accrochés au fil devant la cheminée. Entre deux pensées confuses, il entendait son père râler après « la marée fichue ». La journée s'étira mollement. Fanch, remis de ses émotions, traînait dans les jambes de sa mère, n'osant pas sortir pour affronter la mauvaise humeur de son père qui, faute de mieux, réparait des casiers abîmés. Tout à coup, des appels catastrophés lui firent dresser l'oreille. Suivant sa mère à la porte, il vit trois hommes, des amis de son père, en grande conversation avec celui-ci. A leur mine, Fanch devina qu'ils apportaient de sombres nouvelles. Son aventure du matin lui revint comme une gifle à la mémoire. La flottille avait essuyé une tempête. Sept hommes avaient péris, les deux bateaux rescapés avaient réussi à repêcher trois survivants. Comme un coup de griffe, la mort avait laissé à jamais une marque de sang sur le paisible petit port de pêche. Fanch fit plus tard le récit de son étrange rencontre, mais personne le cru. Et il y eu d'autres rencontres. Quelque années plus tard, Fanch, devenu un homme, vivait avec sa mère maintenant veuve sur une minuscule exploitation qu'il louait à prix d'or à un grand fermier du Léon qui faisait le négoce du goémon. L'été, cette année, s'annonçait plutôt clément, sans trop de ces pluies qui viennent pourrir les algues. En somme, Fanch ne se plaignait pas. Riche de son seul courage, il s'échinait à sa tâche pour entasser sur les dunes des tas impressionnants. Il s'obligeait à des journées de forçat, crochant dans le goémon sans relâche. Le maître, qui plus est, avait cette saison conclu de nouvelles affaires : si le pauvre Fanch voulait faire « bonne figure » face à lui, il ne pouvait se montrer avare d'efforts. La parole donnée pour l'un, le travail pour l'autre !... Ma foi, c'est dans la nature des choses...pensait notre brave homme. Fanch, le jour suivant, était trop éreinté pour contempler le soleil rougeoyer de mille feux en s'éteignant dans la mer. Sans prendre garde, alors qu'il remontait de la grève par les grand rochers, il glissa malencontreusement et culbuta, cul par dessus tête. Après un long silence, le malheureux remua, laissant échapper un grognement de douleur. Son bras le lançait atrocement.
- Me voilà bien, pensait-il lugubrement, en essayant maladroitement de se relever. Il entendit soudain un grand rire fuser du chaos rocheux, au-dessus de lui.
- Tu n'es plus que plaies et bosses, l'homme. Ca pour sûr, c'était une jolie pirouette ! Et le rire de repartir de plus belle.
Blessé douloureusement dans sa fierté, Fanch se redressa d'un coup et scruta en tous sens à la recherche du moqueur. Il trouva enfin le « plaisantin » et en oublia toute colère. Il contemplait, bouche-bée, un « être » impossible. Le bougre était petit, voire minuscule, même pour un nain, vêtu d'un habit qui semblait fait de lanières de goémon cousues entre elles.
- Mais qui es-tu ? Lança Fanch, je ne t'ai jamais vu !
- Je suis d'ici, pourtant... et d'ailleurs, Seigneur de ces grèves je suis, oui da ! Ton bras est tordu, l'homme, ça doit faire mal !
- Oui, me voilà bien, grimaça le malheureux Fanch, je n'ai fais que la moitié de mon dû et avec ce bras, c'est maintenant impossible...Oh mon Dieu... Et ma mère ? Fanch n'avait pas vraiment le courage d'envisager l'avenir.
- Laisse donc le vieil archiviste en paix ! Le malheur t'accable, l'humain... Tu prends soin de ma grève et tu nettoie ma plage... Je vais donc t'aider.
Balançant entre le rire et l'agacement, Fanch regarda le petit bougre.
- Ta plage ? Ta grève ? Et bâti comme tu es, tu comptes m'aider ? Je te remercie bien, mais...
- Ne refuse pas mon aide, l'homme. Ce serait impoli et... malvenu ! Accepte simplement !
En disant cela, la voix du petit être s'était durcie et Fanch, mal à l'aise, sentit poindre une sourde peur.
- Va, retourne chez toi à présent et ne t'en fais plus !
Sur ces mots, il vit le petit diable bondir de roche en roche et disparaître dans un grand rire. Le lendemain, après une nuit agitée, Fanch s'en retourna sur la grève. Il s'arrêta stupéfait : un énorme tas d'algues se dressait à côté de son ouvrage de la veille. Le travail qu'il avait fallu déployer pour en amasser autant le laissa sans voix. Fanch ne doutait plus des pouvoirs de son « aide » minuscule.
- N'aie crainte, l'homme. J'ai appelé une gentilles petite brise de mer, ton goémon va sécher doucement.
Le drôle le regardait nonchalamment installé sur un rocher et lui souriait.
- Comment puis-je te remercier, je ne suis pas riche et...
- Bah, laisse a, tu trouveras bien, et...on peut bien s'aider entre ... voisins ! Sur ces mots, il disparut.
Tout s'arrangea par la suite. Fanch, remis de sa mauvaise chute, reçut les compliments du maître. Une personne cette fois, cru à son histoire : la belle Aaricia Trémener. Ils se lièrent d'amitié et Marion lui avoua son secret. Et puis un jour, la « Fée des Houles » apparue à nouveau, mais cette fois, Fanch préféra s'enfuir pour ne pas entendre les sombres nouvelles qu'elle apportait. Il couru chez Marion et l'emmena loin à l'intérieur des terres, sans lui fournir aucune explication. C'était le jour du cataclysme, et ils furent les seuls survivants de ce paisible petit village de pêcheurs...

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